viernes, 19 de diciembre de 2025

Au revoir la Charte de Venise ?

 


La Charte de Venise a longtemps été un texte fondateur. Elle a permis de sortir de pratiques arbitraires, d’installer une éthique de l’intervention, de poser des limites salutaires à l’enthousiasme reconstructif. Pour cela, elle mérite respect et reconnaissance.


Mais en 2025, il faut aussi savoir le dire clairement : ce n’est plus un document opératoire pour la restauration contemporaine. Et encore moins un cadre pertinent pour de nombreux contextes extra-européens, notamment en Amérique latine.

Rédigée en 1964, la Charte est le produit d’un moment précis : une Europe marquée par la guerre, la reconstruction, et une vision monumentale, savante et largement eurocentrée du patrimoine. Elle repose sur des présupposés culturels, techniques et institutionnels qui ne sont plus les nôtres : une idée stabilisée du monument, une hiérarchie claire entre savant et populaire, une temporalité longue et relativement pacifiée.

Aujourd’hui, nous travaillons sur des patrimoines vivants, fragiles, hybrides, souvent traversés par des usages sociaux intenses, des crises économiques, climatiques ou politiques. En Amérique latine en particulier, le patrimoine n’est pas un objet figé à conserver, mais un support de vie, parfois de survie, inscrit dans des continuités d’usage qui ne rentrent pas dans le cadre vénitien.

Appliquer mécaniquement la Charte de Venise dans ces contextes revient souvent à produire des interventions hors sol, culturellement inadaptées, voire socialement violentes. Ce n’est pas de conservation qu’il s’agit alors, mais d’un néocolonialisme méthodologique, qui impose des normes sans en interroger la légitimité.

Dire « au revoir » à la Charte de Venise ne signifie pas l’oublier ni la renier. Cela signifie cesser de la fétichiser. La restauration n’a pas besoin de textes sacrés, mais d’outils critiques, situés, capables d’évoluer avec les sociétés qu’ils prétendent servir.

La véritable fidélité à l’esprit de la restauration n’est pas dans la répétition des chartes, mais dans la capacité à penser chaque intervention à partir de ce qui est reçu, vécu et transmis.

LC, Paris, décembre 2025.

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